Charles a été aidant de sa femme atteinte d’un cancer du sein. Audrey l’aidante de son père atteint d’un cancer ORL. Mélanie est aidante avec sa sœur, de leur mère atteinte de la maladie d’Alzheimer. Alex a souhaité leur donner la parole afin qu’il et elles témoignent de leur expérience d’aidant et de l’impact sur leur vie au quotidien.
Comment s'est passée l'annonce de la maladie ?
Charles : Perdu, hagard, l'émotion m'a submergé à ce moment-là... Je ne sais pas qui a conduit jusque chez moi, mon corps probablement. Car mon esprit était ailleurs, à penser à ce que je pouvais faire, dire, aux multiples conséquences (le boulot, les enfants), à estimer l'urgence de la situation, etc.
Il faut dire que le contexte était déjà difficile – J'avais perdu mon père peu de temps avant. Mes défenses psychologiques étaient mises à mal. Ça a été le coup de grâce. Donc, pour répondre à la question : pas très bien.
Du jour au lendemain, j'ai dû changer mon écoute. Je me suis rapproché d'elle pour tenter de savoir de quoi on parlait. Car le mot « cancer » ne voulait rien dire pour moi à part la thématique de la mort qu'il véhicule.
Audrey : Cela a débuté avec le résultat du scanner de mon père avec cette question « ADK de l’ethmoïde ? Visite formelle à un ORL » À cet instant, j’ai pris un coup de massue et je suis devenue son accompagnant-aidant, ma mère n’étant pas assez forte psychologiquement à cette époque. [Je l’ai accompagné ] lors de son premier rdv avec un ORL pour la biopsie, dans le second pour le résultat de « l’anapath » (1) et de ce fait, de son diagnostic « Adénocarcinome de l’éthmoïde (2) Stade 4 N0 M0 ». Je me souviens de celui-ci, comme si c’était hier…!
En quoi consiste ou consistait votre rôle d'aidant au quotidien ?
Charles : Principalement, ma présence. J'ai vraiment eu l'impression que la principale aide que j'apportais était cela. Après, il y a tous les à-côtés : s'occuper des enfants, du quotidien et du reste mais dans une moindre mesure car Madame, bien que parfois vraiment affaiblie, avait gardé sa capacité d'organisatrice, de bonne gestionnaire de sa charge mentale et continuait de faire son maximum dès qu'elle pouvait, aidée d'autres personnes que moi-même (ses amis et collègues).
Audrey : Tout s’est enchaîné très vite et tu rentres dans la spirale du monde médical. [J’ai accompagné mon père] à chacun des rendez-vous, des examens médicaux, chacun des cycles de chimiothérapie adjuvant à son opération, puis de celle-ci, puis des cycles de chimio-radio.
Durant tout ce parcours, j’ai veillé sur lui, je l’ai soutenu, je l’ai encouragé mais j’ai aussi respecté son silence, ses doutes, sa colère, et j’admire par-dessus tout son courage, sa détermination et sa lucidité. Je suis devenue sa personne de confiance et je me suis occupée de l’ensemble des démarches administratives auprès des établissements et de la Sécurité sociale.
[...] Quand la maladie l’a privé de vue, mon rôle a pris une autre dimension. Ce fut le début d’un accompagnement pas à pas, d’un point de vue physique mais surtout psychologique. Comment accepter tout en douceur cette transition, de malade indépendant (en quelque sorte) à malade dépendant ? À travers cela, j’ai continué son accompagnement lors des cycles de l’essai clinique et de son dernier cycle de chimio.
[...] 2 mois après l’annonce de l’arrêt des traitements, c’est tout en douceur, que [je l’ai accompagné] à ma façon vers ce que l’on appelle en terme médicale « la fin de vie » à travers l’écoute, la résilience et l’amour.
Mélanie : Je vais une fois par mois aider ma mère à La Rochelle pendant trois jours, 3 jours de repos consécutifs qui reviennent toutes les 2 semaines dans mon emploi du temps. Depuis chez moi (en matinée, sur mes jours de repos) et parfois depuis mon poste de travail, je gère l’administratif et l’organisation matérielle auprès de l’association qui fait intervenir des auxiliaires de vie et des infirmières pluriquotidiennement à son domicile.
Qu'est-ce qui vous a manqué pour faire face à la maladie ?
Charles : De l'aide pratique et•ou du temps. Il y a bien eu une aide au ménage mais seulement 2 h par semaine pour une famille de 5 personnes, c'était trop peu selon moi. Du temps pour tout gérer ou simplement pour y voir plus clair aurait été bienvenu, bien que l'arrêt de travail m'a permis d'en avoir un peu lorsque cela était une nécessité.
Après, comme ma jeune épouse (nous nous étions mariés trois mois plus tôt) était assez entourée et organisée, je ne pense pas qu'il m'ait manqué quelque chose d'essentiel. Il reste cependant une certaine frustration : de ne pas avoir pu l'aider à se sentir mieux, l'aider à voir le verre à moitié plein, et une certaine frustration à s'apercevoir que l'aide principale était ma présence uniquement.
Audrey : Certes, je n’étais pas la personne malade mais cela a changé ma vie, car il ne faut pas se mentir, c’est plus qu’un virage à 360 degrés !!!
Dès que tu rentres dans le système, tu es confrontée dans un premier temps à l’appréhension et à la compréhension de la maladie, puis de son développement, de ses conséquences (visuelles et psychologiques), de son suivi et bien sûr tu es confrontée de plein fouet à la mort.
Le fait d’échanger avec d’autres aidants et d’être pris en compte est à mon sens important, pour ne pas rester dans la solitude, la culpabilité et ce que j’appelle « le rôle de victime », car comment soutenir durablement la personne si toi tu perds pied ? Comment être présente pour lui, si tu ne trouves pas un second souffle pour toi ?
Mon ressenti est que l’on ne prend pas réellement en compte l’aidant. On sous-estime les impacts psycho-sociaux, les conséquences professionnelles et la qualité de vie, même si j’en conviens, nous ne sommes pas les personnes atteintes par la maladie.
On ne te guide pas non plus sur ce qu’est le fait d’accompagner un malade avant, pendant, après et jusqu’à la fin de vie, ce que cela reflète du domaine psychologique, physiologique, physique et de la mort.
Comment avez-vous concilié votre travail et votre rôle d'aidant ?
Charles : Un mois et demi après l'annonce, soit un peu avant l'opération chirurgicale (mastectomie), j'ai dû poser pour la première fois de ma vie un arrêt de travail pour burn out, un truc du genre, avec prescription de « médocs » pour me détendre et aider à dormir. Car dormir devenait très difficile. Et je sais maintenant que dormir est une des clés pour passer le cap.
Ensuite lorsque la chimio a débuté, j'ai pu concilier le travail plutôt facilement car j'ai eu la chance d'avoir une mission pas trop éloignée de la maison. Pour ce qui est du rôle du père, j'ai fait comme j'ai pu, ou plutôt comme je savais déjà faire avant cet événement, avec le temps qui restait pour cela. Il me semble que mes enfants avaient compris la situation et faisaient l'effort de ne pas trop en rajouter (pas trop de disputes pendant cette période, une sorte de statu quo entre frères et sœur) puis on discutait ensemble de l'avancement de la maladie, des étapes à venir et à franchir.
Mélanie : [Ma mère] bénéficie de l’Apa (3). Ma sœur assume d’autres démarches dans son intérêt (elle est actuellement au chômage) et se rend chez elle une fois par mois également; nous essayons de maintenir une rotation toutes les 2 semaines.
Depuis le printemps notre mère est GIR 2 (4) , nous pouvons bénéficier du congé aidant. Avant même que je puisse en bénéficier, ma responsable était très compréhensive de ma situation et avait aménagé mon emploi du temps à plusieurs reprises.
J’ai utilisé pour la première fois le congé aidant en juin. Mon employeur m’accompagne dans la prise de ces congés. J’avais de grands espoirs dans ce dispositif mais j’ai été assez déçue lorsque la RH m’a appris que sur les 12 mois maximum de congé proche aidant sur une carrière seuls 66 jours étaient indemnisés par la CAF. Les 9 autres mois reviennent donc à un congé sans solde. De plus, sur les jours de congé proche aidant on ne cumule pas de congé payant.
Charles : Les personnes de mon travail ont été compréhensives mais cela est resté limité et n'a pas débouché sur des actions concrètes.
Les gens avec qui mon épouse parlait m'aidaient indirectement car, en quelque sorte, cela me déchargeait un peu d'un je ne sais quoi. Comme on dit, tout ce qui est bon est à prendre. Et dans ces moments-là, c'est encore plus vrai.
L'information m'a aidé (et pas que moi) : être informé des détails techniques, des conséquences de chaque acte médical, des effets secondaires, des possibilités de soutien, du protocole, des difficultés à venir. Cependant, je n'ai pas cherché à être informé. Ces informations sont venues à moi au travers de mon épouse. Toutes ces informations bonnes ou mauvaises permettaient d'avancer et de se rapprocher un peu de la sortie de ce long tunnel (je préférais quand même les bonnes nouvelles).
Audrey : Dans ce parcours, j’ai eu la chance de rencontrer de belles personnes ayant eu un cancer, des femmes exceptionnelles (en majorité), m’ayant transmis leurs ressentis, leurs authenticités, leurs parcours, leurs attentes.
Je me suis passionnée pour les parcours de soins, les traitements, la cause, la recherche, les différents cancers. J’ai effectué des recherches sur celui de mon père etc… ; bref je n’ai cessé d’apprendre et j’apprends encore.
Ce sont les valeurs comme l’unicité, le non-jugement, l’écoute et la bienveillance qui furent pour moi un second souffle.
Comment peut-on améliorer la prise en compte du rôle des aidants aujourd’hui ? Quels conseils souhaiteriez-vous donner à une personne nouvellement aidante ?
Charles : Prendre le temps – le temps de s'organiser, le temps de clarifier et canaliser toutes les informations qui fusent par-ci par-là. Mais en même temps, ne pas hésiter à accumuler les informations utiles et donc ne pas hésiter à communiquer.
Être présent, là où est notre place mais pas seulement. Être un peu plus présent à ses côtés, aux rendez-vous médicaux comme à son chevet. Même si ma seule présence était l'aide la plus importante que je pouvais apporter, j'ai l'impression qu'elle n'était pas suffisante, que je n'ai pas été pas assez présent.
Mélanie : Les choses avancent mais pour soulager les aidants il faudrait davantage de soutien de la part des pouvoirs publics.
Par exemple, indemniser la totalité des jours de congé proche aidant et financer davantage les associations qui viennent en aide aux malades et à leurs aidants. Plus de fonds pour elles, plus de formations pour les auxiliaires de vie et une revalorisation de leurs salaires. C’est l’association L’Escale à La Rochelle qui fournit tous les services auprès de ma mère, leur travail m’est IN.DIS.PEN.SABLE. La charge mentale et morale supportée par les femmes qui interviennent chez ma mère tous les jours me donne le vertige, et au vu de leur rémunération elles devraient également être considérées comme des aidantes par la société.
Je rajouterai un conseil : parler normalement de sa situation autour de soi, s’en ouvrir à ses collègues et ses responsables hiérarchiques pour qu’ils aient conscience de ce que l’on supporte. Cela permet d’être mieux aidé.
Audrey : Je souhaiterais également créer des réunions, des conférences avec des aidants, les malades et toutes autres personnes, afin de libérer la parole sur notre statut, les enjeux ainsi que les conséquences.
Mon rêve serait de publier un livre sur mon père et de créer une association avec ma sœur.
C’est une route que tu prends seule, même si les plus proches sont présents, leur compréhension de la situation est différente même si bienveillante. Pour ma part, j'ai beaucoup travaillé sur la notion de culpabilité.
Si vous aussi, vous souhaitez témoigner de votre expérience d’aidant au travail, contactez-nous à l’adresse alloalex@wecareatwork.com
Pour toutes vos questions pour mieux concilier maladie et travail, sachez qu’ALLO Alex est là pour vous aider ! Pour rappel, le service est joignable au 0800 400 310 du lundi au vendredi de 9h à 17h (appel gratuit)
(1) « anapath » ou « anath-patho » : abrévation informelle du terme de spécialité médicale « anatomopathologie » qui désigne l'étude des altérations organiques des tissus et des cellules provoquées par la maladie ». On parle aussi d'anatomocytopathologie. Le médecin en charge de cet examen est appelé anatomopathologiste ou pathologiste. L'« anapath » examine les organes, les tissus ou les cellules et les analyse, afin de repérer des anomalies liées à une maladie. L'examen se fait d'abord à l'œil nu, puis il est complété par une analyse à l'aide d'un microscope. Le rôle de l'anapathologiste est capital pour déterminer le diagnostic de cancer et les traitements à envisager. (Sources : Larousse, Institut national du cancer)
(2) l'ethmoïde est l'os qui se trouve entre les yeux. L'adénocarcinome de l’ethmoïde est un cancer ORL rare. Il atteint les sinus.
(3) L’allocation personnalisée d’autonomie (Apa) sert à payer (en totalité ou en partie) les dépenses nécessaires pour permettre à la personne malade de rester à domicile. Elle est versée par les services du département.
(4) Le GIR correspond au niveau de perte d’autonomie d’une personne âgée. Il est calculé à partir de la grille AGGIR. Les personnes évaluées en GIR 1 à 4 peuvent bénéficier de l’Apa.
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