Julie est manager quand elle apprend le diagnostic de son cancer. À son retour au travail, elle pensait que le plus difficile était derrière elle. Elle a vécu sa reprise comme un deuxième combat. Suite à la lecture du livre Cancer et travail – J’ai (re)trouvé ma place, comment trouver la vôtre ? elle a décidé de partagé son expérience et de proposer ses pistes de réflexion pour mieux accompagner les managers malades.
Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre expérience de vie de la maladie en quelques mots ?
Je m’appelle Julie, j’ai eu un cancer du sein à 37 ans. Mes enfants avaient alors 4 ans et 18 mois. J'étais cadre manager dans la grande distribution. J'ai été en arrêt maladie pendant un an pour me soigner (chimio, 3 chirurgies, radiothérapie et immunothérapie ciblée). J'ai repris le travail en mi-temps thérapeutique pendant neuf mois puis trois mois à 80%. J'ai aujourd'hui 40 ans. J'ai l'impression que mon cancer et le retour au travail étaient hier. Il y a eu clairement un avant et un après ma maladie.
Comment avez-vous concilié votre maladie, les traitements, et votre travail ?
Pendant mon arrêt, j'ai gardé le lien avec mon équipe et mes collègues qui prenaient souvent de mes nouvelles, nous déjeunions parfois ensemble au restaurant.
Malgré cela, le retour au travail a été un second combat encore plus difficile que celui contre le cancer. Une fois les traitements terminés, je me suis sentie vidée, mon corps et mon mental m'avaient lâchée. Je pensais que j'allais être la plus heureuse au monde une fois les traitements terminés mais non ! J'ai culpabilisé. Tout mon entourage personnel et professionnel me demandait quand j'allais reprendre le travail mais je m'en sentais incapable tellement j'étais fatiguée. Dans l'esprit des gens, si on n’est pas à l'hôpital on doit être au travail ! Ils me disaient que j'allais pouvoir retrouver ma vie d'avant. Mais comment ne pas changer après cet accident de la vie ?!
Grâce à l’hôpital, j'ai pu bénéficier de l'aide d’une association de patients qui m'a informée des différents dispositifs existants et aidée à ne pas minimiser la reprise au travail, à anticiper et préparer mon retour. J'ai cependant décidé de reprendre assez vite le travail, 3 mois et demi après la fin des traitements. Je me suis également posé certaines questions et réflexions indiquées dans l’ouvrage : « J'ai envie de retrouver une vie “normale” mais vais-je être capable ? Comment mes collègues et mon manager vont se comporter avec moi ? Je me sens encore tellement fatiguée, comment vais-je faire pour travailler...? Lorsque j'étais revenue après quatre à cinq mois de congé maternité c'était déjà difficile ! J'ai peur de ne pas y arriver ! Mais si je ne reprends pas, je n'aurais peut-être plus mon poste...?! »
Quelles difficultés particulières avez-vous rencontrées à votre reprise en tant que manager ?
Je pense que revenir au travail en tant que manager ajoute de nouvelles difficultés à la reprise et c'est à ce sujet que je tenais à vous partager mon expérience.
J'ai réalisé 2 visites de pré-reprise, très bénéfiques. J'ai contacté mon manager et ma coordinatrice RH. Ils étaient d'accord sur le mi-temps thérapeutique, les jours travaillés et les jours de repos. « Tout le monde est ravi que tu reviennes. » Mon manager m'a même annoncé qu'il allait lancer un recrutement pour un CDD afin de m'aider pendant mon temps partiel et aider mon service à absorber la surcharge qu'il vivait depuis plusieurs mois, d'autant plus que ma remplaçante était partie trois mois avant la fin de mon retour. Sur le papier, tout s'annonçait bien, je me sentais sereine pour reprendre le travail.
Je n'oublierai jamais mon 1er jour de reprise tellement il a été violent pour moi.
Après mon rendez-vous de reprise à la médecine du travail, je suis arrivée au bureau, mon équipe et mes collègues n'osaient pas me regarder. Ils semblaient gênés. Quelques collègues proches sont tout de même venues vers moi pour me souhaiter la bienvenue, ça m'a fait tellement de bien. Quelques minutes plus tard, l'une de mes collaboratrices a dit sur le ton de la plaisanterie : « Si tu n'arrives à pas te coiffer tu peux aller te faire raser la tête ». J'étais sonnée et choquée.
Mon manager qui m’avait remplacée sur les missions administratives (validation des congés, factures…) m’a annoncé : « Finalement, on n’a pas trouvé de CDD [pour te remplacer] et il n'y aura certainement pas ! »
Le jour-même, nous partions en séminaire deux jours. Toute mon équipe est partie ensemble et je me suis retrouvée seule sur le parking, sans trop savoir où aller...
Les 2 premières semaines, je me suis accrochée. J'ai reçu mes collaboratrices individuellement pour comprendre ce qu'elles avaient vécu pendant un an et pourquoi cette distance avec moi. Mon manager ne leur avait pas annoncé mon retour, ni que je serais en mi-temps thérapeutique pendant plusieurs mois ou comment mes dossiers allaient être gérés...
Sachant qu'elles géraient déjà mes dossiers depuis trois mois déjà, il n'y avait plus beaucoup d'empathie. J'ai senti un vrai ras le bol. C'était très difficile pour moi de manager une équipe dans ces conditions. De plus, elles avaient été en autonomie pendant un an et mon retour en tant que manager n'était pas vu d'un très bon œil.
J'ai compris aussi qu'en mon absence l'une de mes collaboratrices avait pris le lead de mon service. Elle convoitait déjà mon poste avant mon départ et et ne m’a pas facilité mon retour. Lors de notre entrevue, elle m'a dit : « tu es trop faible pour manager », « tu ne devrais pas faire comme ça », « ce que tu fais ne sert à rien »... Avant mon départ, je me sentais assez appréciée, je faisais partie d'une équipe. À mon retour, je n'étais plus dans l'équipe. Je me sentais observée. Le moindre faux pas était critiqué et amplifié.
Tous les outils et beaucoup de process avaient changé (jusqu'à la boîte mail et la photocopieuse), mais de toute façon je ne me souvenais plus des autres. Il a fallu que je réapprenne tout toute seule dans un contexte d'entretiens annuels que mon manager ne voulait pas faire (et que nous avons finalement faits ensemble car j'ai osé dire non !)
Plusieurs de mes collègues étaient partis et avaient été remplacés.
J'ai compris qu'un manager même en mi-temps thérapeutique doit être au top et n'a pas le droit à l'erreur ! Pendant de nombreux mois, j'ai senti que j'étais une charge pour mon équipe, qu'elle n'avait plus confiance en moi et doutait de mes capacités à revenir au niveau. J'ai eu l'impression d'être sur un ring de box ou en train de me noyer et qu'on me maintenait la tête dans l'eau. J'ai songé tous les jours à me remettre en arrêt. Mais si je le faisais, je n'aurais pas eu le courage de revenir une 2e fois et je leur donnais raison.
Le 1er confinement a ajouté de la difficulté à la difficulté. Le mi-temps thérapeutique était encore moins visible pour mon entourage professionnel. Puis les différentes interventions de reconstruction ont rajouté de la fatigue à la fatigue, même si cette étape m'a aidée à tourner la page.
Qu’est-ce qui vous a aidée ou qu’auriez-vous souhaité ?
J'ai réussi à m'accrocher pendant ces longs mois grâce surtout au soutien sans faille de mon conjoint (qui a toujours été présent et parfait pendant toute cette épreuve et qui est également un très bon manager) et au soutien de mes CRH.
Je suis complètement d'accord avec toutes les mesures proposées dans le livre. Un retour au travail après un cancer doit être anticipé, préparé avec les bons interlocuteurs (médecine du travail, médecin traitant, manager, RH) Chaque interlocuteur joue un rôle décisif dans la reprise, l'équipe doit être informée et sensibilisée aux conditions de ce retour pour que chacun retrouve sa place au plus vite. Le rôle du manager est déterminant selon moi et va permettre un bon fonctionnement du service si ce retour est bien préparé et accompagné.
L'ancien malade doit être accompagné avant, pendant et après sa reprise par son manager en mettant en place un plan d'intégration (comme pour un nouveau collaborateur en identifiant les besoins en formation aux outils / process) et un accompagnement tant que nécessaire.
À mon retour d’autres mesures m’auraient aidée et pourraient aider d’autres managers malades. Premièrement, le remplacement du manager malade par un pair ou par son N+1. Quand c’est un collaborateur qui effectue ce remplacement, il est alors difficile pour les 2 personnes de retrouver leur place. Ensuite, le manager et le coordinateur RH doivent pouvoir être accompagnés par un coach extérieur qui maîtrise ce sujet. Des points réguliers par le CRH sont également nécessaires pour identifier les besoins de l'ancien malade et du manager remplaçant pour les accompagner au mieux.
Un rendez-vous avec la médecine du travail était prévu au bout des 3 mois. Pour ma part, j'étais en difficulté depuis trop longtemps. J'aurai aimé avoir un premier rendez-vous au bout d'un mois. J’aurais eu besoin que l’équipe soit sensibilisée et écoutée pendant toute la durée du temps partiel car l'équipe peut être sensible au retour de la personne au début, puis on oublie… La gestion de la charge est également un sujet. Un mi-temps thérapeutique ne permet pas de gérer 50% du poste occupé avant notre arrêt. Pour ma part, j'ai eu l'impression de passer mon temps à rattraper mes mails, être tout le temps en retard et relancée, ce qui était source de stress. J'ai réussi à ne pas récupérer des dossiers qui demandaient une réactivité à la journée alors que je travaillais un jour sur deux.
Je pense que lorsque c'est possible, les entreprises pourraient mettre en place une prime de remplacement pour les salariés qui récupèrent les dossiers des malades pendant leur arrêt ou à leur retour. Dans ma société, il existe des primes remplacement lorsqu'un poste est vacant pendant une certaine durée mais pas lorsqu'elle est en temps partiel thérapeutique. Recruter un CDD pour compenser un mi-temps thérapeutique est selon moi une décision courageuse mais difficile à mettre en place selon le profil. Dans mon cas, le fait d'avoir eu un mi-temps thérapeutique de trois mois renouvelé tous les 3 mois n'a pas permis aux RH de recruter un CDD. Il a été décidé de combler la charge par un stagiaire que j'ai accompagné très difficilement en mi-temps car aucune de mes collaboratrices ne voulait récupérer cette mission de tutorat…
Aujourd’hui, quels sont vos projets ?
Cela fait deux ans que je suis revenue au travail. Je suis toujours choquée de ces conditions de reprise. Malgré tout, j'ai continué à m'accrocher et j'ai retrouvé une place dans mon entreprise et dans la société.
Avec mon conjoint, nous venons de réussir un long processus de recrutement pour accéder à une formation Chef d'entreprise d'un magasin. Nous allons quitter notre poste d'ici quelques mois pour nous lancer à notre compte. Nous préférons prendre des risques mais être libres de nos choix. Cet accident de la vie nous a rendus plus forts. Lorsque nous serons gérants, nous pourrons accompagner avec empathie, bienveillance et en connaissance de cause nos collaborateurs qui vivront ce combat.
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
Le retour au travail après un cancer est un vrai défi pour notre société. Ces personnes ne devraient plus être perçues comme faibles ou incapables mais comme une réelle valeur ajoutée dans les équipes au vu de ce qu'elles ont traversé (combativité, esprit d'équipe, gestion du stress, empathie...)
Merci Julie pour votre témoignage !
Si vous aussi, comme Julie, vous souhaitez témoigner de votre expérience de la maladie au travail, contactez-nous à l’adresse alloalex@wecareatwork.com
Pour toutes vos questions pour mieux concilier maladie et travail, sachez qu’ALLO Alex est là pour vous aider ! Pour rappel, le service est joignable au 0800 400 310 du lundi au vendredi de 9h à 17h (appel gratuit)
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