Sylvie Houliere Mayca est dirigeante au sein du groupe Amazon Web Services (AWS). Il y a plus d’un an, elle apprend son cancer du sein. Entre reprise du travail et nouveaux projets, elle a généreusement accepté de partager son parcours pour ALLO Alex.
Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre expérience de vie de la maladie en quelques mots ?
Je suis Sylvie Houliere Mayca, j’ai 53 ans et on m’a diagnostiqué un cancer du sein en août 2020. Basque de cœur, je partageais ma vie entre Paris et Saint-Jean-de-Luz. Lorsque j’ai appris que je devais suivre une chimio lourde. J’ai annoncé à mon oncologue que je n’avais pas l’intention d’arrêter mon activité professionnelle car cela me semblait impensable : un job prenant, avec la responsabilité de grosses équipes et dans une société américaine qui va vite. Comment imaginer un arrêt brutal ? Ce dernier m’a expliqué que les traitements qui s’annonçaient ne me laisseraient pas le choix.
Alors qu’on nous annonçait le deuxième confinement, j’ai pris la décision de quitter Paris et de me faire soigner dans le Sud-Ouest afin de mettre toutes les chances de mon côté. Je savais que tous les à-côtés des traitements avaient autant d’importance que les traitements eux-mêmes et ils me semblait impensable de pouvoir concilier tout cela avec une vie parisienne confinée !
À titre d’exemple, Je souhaitais continuer l’activité physique si indispensable à la récupération post chimio. Ici, il m’a été possible de marcher tous les jours au bord de la mer ou faire du vélo en montagne, même pendant mes traitements. Ce fut la clé pour moi pour garder une énergie qui m’a portée tout au long de ce tunnel de douze mois.
Je suis en rémission et je reprends progressivement mon activité professionnelle depuis fin octobre. Je suis directrice commerciale chez Amazon Web Services, j’ai une équipe de 5 managers et 30 commerciaux.
Comment avez-vous découvert votre maladie ? L’avez-vous annoncée au travail ? Si oui, comment ?
J’ai découvert durant l’été une petite boule suspecte et j’ai tout de suite pris rendez-vous pour des examens car je sentais qu’il y avait quelque chose de grave. Un sixième sens sans doute. Lorsqu’on sait que 93 % des cancers du sein pris à temps guérissent, il m’a semblé important de ne pas attendre mon retour sur Paris pour entreprendre une mammo de contrôle ! Dès que le diagnostic est tombé, je l’ai annoncé à mon boss avec qui je travaille en confiance et je lui ai dit que ma guérison passerait par le fait de rester connectée à l’entreprise. Je ne me voyais pas disparaître durant des mois et laisser ma maladie au centre de toutes mes préoccupations ! Il m’a engagée à échanger avec notre Vice-président Europe qui traversait une épreuve similaire et cela m’a beaucoup aidée à comprendre que tout était possible et seule l’organisation personnelle que je souhaitais mettre en place comptait !
Comment s’est déroulée votre période de convalescence ? Avez-vous maintenu le lien avec l’entreprise ?
J’ai fait le choix de parler très ouvertement de ma maladie au sein de l’entreprise. J’ai eu la chance de pouvoir garder le lien durant ce tunnel de douze mois de traitement avec mes équipes et mon entreprise. Je trouve que c’est une chance car j’ai eu la main sur ce que je souhaitais faire et comment je souhaitais le faire. Ma position au comité de direction a beaucoup joué et je sais combien je suis chanceuse comparé à d’autres femmes qui vivent des situations professionnelles difficiles lors de cette épreuve. Je crois aussi que la culture d’Amazon a beaucoup joué car les valeurs d’inclusion y sont fortes.
Après avoir soumis un plan à mon boss, lui expliquant les sujets que j’allais déléguer et les sujets que je souhaitais garder à mon niveau, j’ai alors réuni mes managers et je l’ai annoncé à mon cercle rapproché en proposant un mode opératoire qui me semblait le mieux pour mes équipes, mon management et pour moi. J’ai nommé un de mes managers en intérim sur mon poste et nous avons développé tous les deux une grande complicité durant ces longs mois de traitements. Il faisait le lien entre le comité de direction et mes équipes managériales. Nous avions instauré des points réguliers, qui avaient lieu quelquefois. D’autres fois, il m’était impossible de trouver l’énergie mais on s’est adapté et cela a très bien fonctionné.
Tout en étant en arrêt maladie, j’ai pu garder le lien et c’était essentiel pour moi.
Comment se passe le retour au travail ? Allez-vous bénéficier d’aménagements ?
Je viens de reprendre fin octobre en temps partiel thérapeutique à 50 %. Je suis encore fatiguée et n’ai pas retrouvé l’énergie nécessaire pour reprendre mes fonctions à temps plein. Plus que de travailler 2,5 jours par semaine, cela implique surtout que je « partage le pouvoir » avec le manager qui a endossé mon intérim depuis un an et il est ravi de pouvoir continuer à m’aider jusqu’à ce que tout rentre dans l’ordre. Nous nous sommes donc partagés les grands sujets. À lui l’opérationnel et à moi les grands sujets stratégiques. Un duo qui fonctionne et j’ai reçu un grand soutien de la direction d’Amazon qui a accepté ce fonctionnement pour m’assurer une reprise dans les meilleures conditions.
Qu’est-ce qui vous a aidée ou qu’auriez-vous souhaité ?
Ce qui m'a le plus aidée est d’avoir le choix ! On imagine souvent le côté binaire des choses. Un arrêt maladie = ne plus avoir de contact avec l’entreprise. En fait, il est capital d’avoir un dialogue avec son employeur pour lui expliquer ce qui est bien pour vous… et être en mode proposition. Amazon m’a apporté toute la souplesse dont j’avais besoin.
À titre d’exemple, j’ai souhaité continuer à présenter lors des réunions France réunissant les employés d’Amazon web services malgré mon turban et une forme physique pas toujours au top. Le cancer touchera 25 % des actifs, pour moi, la maladie ne doit pas être un sujet tabou et je ne l’ai jamais cachée.
Ce qui m’a le plus aidée, par-dessus tout, c’est que mes équipes et mes managers ne se soient pas laissés envahir par les émotions. Ils sont restés eux-mêmes et ont mis la bonne distance, gardant le lien, demandant des nouvelles mais aussi me sollicitant quand ils en avaient besoin. Je trouve incroyable ce que nous avons réussi à faire ! J’ai recruté 60 % de mon équipe lors des 12 derniers mois, en visio et malade… et nous avons fait les meilleurs résultats commerciaux jamais réalisés!! Quelle victoire collective, grâce à mes équipes.
Mi-septembre, j’ai réuni toutes mes équipes qui sont venues jusqu’à moi au Pays basque. Un moment magique ! Le thème de ces quelques jours était « Comment mettre encore plus d’audace dans nos pratiques commerciales au quotidien ? ». Afin d’illustrer l’audace, Je leur ai expliqué le projet de La Maison Goxa Leku, projet associatif que je lance, pour accompagner les malades atteints de cancer au Sud Pays basque. Cela nous a rempli d’une énergie incroyable et a encore renforcé la cohésion de l’équipe.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet de La Maison Goxa Leku, que vous avez fondée ?
J’ai découvert assez vite que tout ce que j’avais mis en œuvre autour des traitements pour mieux les supporter s’appelaient des « soins de support ». Cela passe par savoir s’alimenter avec des conseils diététiques, de l’activité physique dite adaptée (Vélo, yoga, natation, marche etc.) – quand on conserve sa masse musculaire, on supporte mieux les traitements et donc on sait à présent que cela augmente de 40 % les chances de guérison ! – mais aussi la gestion des symptômes, de la douleur, l’accompagnement psychologique, des ateliers neurocognitifs pour retrouver ma concentration et ma mémoire, etc.
J’ai aussi vite réalisé que peu de patients n’avaient accès à ces soins ni même à l’information qu’ils existent et améliorent significativement la qualité de vie durant les traitements. Très souvent, la maladie inhibe et les patients n’ont plus l’énergie de tout coordonner, de se déplacer et surtout, peu de patients ont les moyens financiers de s’offrir ces soins. Faisant donc le constat que la prise en charge globale des patients est encore trop inégale et que le lien entre l’hôpital et la ville est trop faible, j’ai décidé avec un médecin spécialisé en soins de support et toute une équipe pluridisciplinaire de faire bouger les lignes en créant la première maison de soins oncologiques de support du Sud Pays basque.
Ce projet innovant sera une grande première car nous accueillerons tous patients, hommes et femmes, tous cancers confondus, pour leur offrir un parcours de soins de support coordonné en lien avec tous les acteurs de santé du territoire.
Proposer à chaque adhérent un parcours complet et personnalisé de soins de support, prenant en compte l’ensemble de ses besoins sur le plan physique, psychologique et social. Chaque personne pourra être accompagnée dès l’annonce de sa maladie et jusqu’à un an après la fin de ses traitements. Nous visons à maintenir et renforcer le lien avec les soignants, à l’hôpital comme à la ville, pour assurer une complémentarité et une vision à 360° du parcours de soins global.
Chaque professionnel de soins interviendra en partenariat ou en tant que prestataire rémunéré par l’association Goxa Leku.
Nous levons des fonds auprès de mécènes privés, de fondations de grandes entreprises et d’institutions publiques pour financer les grands piliers de notre projet, à savoir le loyer de la maison, 200 m2 qui se trouve à 2 km de Saint-Jean-de-Luz, en pleine nature avec vue sur les montagnes basques. Nous finançons également les intervenants et les salaires de 2 permanents.
Selon vous, comment peut-on améliorer l’accompagnement des personnes malades en entreprise ?
En parler !
La maladie reste encore un sujet tabou alors que 1 200 personnes* apprennent chaque jour qu’elles ont un cancer, le sujet devient un sujet sociétal et non plus uniquement médical.
La sensibilisation des managers sur les bonnes pratiques, la signature de charte d’engagement par les organisations permettent aux entreprises d’offrir à leurs salariés un service innovant et des propositions d’accompagnement.
Si vous aviez 1 seul conseil ou bonne pratique à partager pour mieux concilier maladie et travail, lequel ?
La maladie ne touche pas seulement l’individu mais tout le collectif. Je crois que cette épreuve a soudé notre équipe d’une façon incroyable.
Mon conseil est d’accepter de s’ouvrir, d’accepter ses limites et « passer le ballon » aux collaborateurs qui peuvent vous seconder. C’est souvent un moment unique de partage et de cohésion.
Et mon conseil le plus important : écoutez vos besoins et écoutez-vous !!
Merci Sylvie pour votre témoignage !
Retrouvez également La Maison Goxa Leku sur les réseaux sociaux.
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Si vous aussi, comme Sylvie, vous souhaitez témoigner de votre expérience de la maladie au travail, contactez-nous à l’adresse alloalex@wecareatwork.com
Pour toutes vos questions pour mieux concilier maladie et travail, sachez qu’ALLO Alex est là pour vous aider ! Pour rappel, le service est joignable au 0800 400 310 du lundi au vendredi de 9h à 17h (appel gratuit)
*Source : Cancer@Work
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