Ils s’appellent Patrick, Mathieu, elles s’appellent Loue, Raven, Tiffany... et sont touché•e•s par une maladie chronique ou un trouble de l’apprentissage ; des pathologies toutes différentes qui impactent leur quotidien. Tou•te•s ont en commun d’avoir fait une demande de RQTH. Une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé. À l’occasion de la semaine d’emploi des personnes handicapées (SEEPH), ALLO Alex a souhaité leur donner la parole afin qu’ils et elles témoignent de leur démarche et de ce que cette reconnaissance leur a apporté.
Suite à l'annonce de votre maladie, quand avez-vous pensé à faire une demande de RQTH ?
Raven : « J’ai 38 ans et on m’a diagnostiqué la maladie de Crohn (1) il y a dix ans. Au bout de cinq ans de maladie, mon nouveau médecin traitant a évoqué cette prestation. J‘ai été tout de suite contre. Le mot “handicap” était trop lourd à porter. J’avais 35 ans. J’ai réfléchi quelques mois, me suis renseignée sur Internet et j’ai ouvert les yeux : ça a été la deuxième plus grosse claque de ma vie après l’annonce de ma maladie Oui j’étais handicapée. Handicapée par cette pathologie qui nuisait à mon emploi. Et il y avait des solutions pour me protéger et me permettre d’avancer. »
Mathieu : « Actuellement, je suis en rémission d’une leucémie (2), j’ai 42 ans. Pour ma part, j'ai appris l'existence de la RQTH par l'assistante sociale qui est venue me voir en chambre stérile. J'ai assez facilement compris que j'allais être handicapé par rapport aux autres pendant un moment. Cette reconnaissance faisait donc sens. »
Loue : « Je m’appelle Loue, j’ai 25 ans. Je suis depuis peu technicienne en microélectronique. Je suis diagnostiquée dyslexique et dysorthographique (3) depuis mon primaire. J’étais très jeune lorsque j’ai appris ma différence, j’ai donc plutôt bénéficié d’aménagement lors de toutes mes études. Quand j’ai appris, par le directeur de mon job étudiant que je pouvais en bénéficier, j'en ai fait la demande. La RQTH ne pouvant que me faciliter la vie au travail, de mon point de vue, bien sûr. »
Tiffany : « Je m'appelle Tiffany Marsoin, j'ai 28 ans. Ma maladie qui est la fibromyalgie (4) a commencé à apparaître à l'âge de 15 ans et s'est dégradée au fil du temps. Suite à l'annonce de ma maladie en 2015, j'ai tout de suite été me renseigner sur la prise en charge, mon rhumatologue n'étant pas spécialement informé sur la question. Et la seule reconnaissance, qui existe à ce jour, est la RQTH. La Sécurité sociale ne l'intègre pas en ALD (affection longue durée) car la fibromyalgie n'a pas d'examen médical qui permette de la mettre en évidence comme d'autres pathologies. Bien que l'OMS l'ait reconnue depuis 1992... Alors il me paraissait évident que pour poursuivre mon activité de l'époque, je devais entreprendre cette démarche afin de travailler dans les meilleures conditions possibles. C'est en m'informant sur la prise en charge sur Internet que j'ai pu découvrir ce qu'était la RQTH. Alors j'ai tenté ! »
Patrick : « J’ai 29 ans. Je travaille dans une agence bancaire et je suis atteint d’une maladie auto-immune, le neurolupus (4). À l’annonce de ma maladie et du diagnostic je possédais déjà une RQTH. Je l'avais fait 3 ans auparavant à cause de symptômes importants. »
Comment avez-vous constitué votre dossier ? Et qui vous y a aidé ?
M. : « J'ai reçu le dossier imprimé à compléter en chambre stérile. N'étant pas à ce moment au top de ma forme, ma femme m'a aidé à le remplir puis nous l'avons redonné à l'assistante sociale pour qu'elle le transfère pour complétude aux médecins en charge de mon traitement. »
R. : « J’ai contacté la MDPH* de ma région qui m’a adressé un document à remplir. Je l’ai fait assez rapidement, puis j’ai pris rendez-vous auprès de mon médecin traitant pour qu’il remplisse la partie médicale. Le tout a été envoyé dans la foulée. La réponse est arrivée 6 mois après par courrier. »
L. : « J’y suis allée à tâtons, et me suis retrouvée face à la médecine du travail qui était très mal informée sur ce handicap, et m’a plus mis des bâtons dans les roues qu’autre chose. J’ai donc fait mes recherches par moi-même, et me suis rapprochée de la MDPH* de mon département. »
T. : « Pour constituer le dossier, il a fallu remplir un formulaire, mais aussi demander un certificat médical à mon médecin traitant, qui avait fait les demandes de diagnostic.
Dans ce dossier, nous avons la possibilité de faire une sorte de lettre de motivation afin d'expliquer les retentissements sur la vie quotidienne et surtout professionnelle dans le cadre de la RQTH. Cette lettre était pour moi très importante et mon collègue de l'époque m'a aidée à choisir les bons mots, les bonnes tournures de phrase afin de mettre toutes mes chances de mon côté pour assurer la compréhension côté MDPH*. Et ça a marché ! »
P. : « Mon entreprise me l’a suggéré via une assistante sociale de l’entreprise. C’était la condition sine qua non pour que l’on puisse me rapprocher et mettre en place des aménagements (notamment réduire les trajets domicile-travail). C’est donc à ce moment-là que j’en ai entendu parler. Je l’ai fait, suivi par mon médecin traitant de l’époque et mon neurologue qui ont fait le nécessaire pour m’accompagner. »
Qu'est-ce que cette reconnaissance vous a apporté, vous apporte aujourd'hui et pourrait vous apporter dans le futur ?
M. : « Cette reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé m'a permis de bénéficier plus facilement de formations professionnelles.
Avant de trouver un job salarié, je comptais créer ma propre entreprise de conseil. Grâce à la RQTH, l'Agefiph aurait pu alors m'accompagner moralement et financièrement sur ce projet. »
L. : « Aujourd’hui, elle ne m’est pas trop utile. Mais le fait d’avoir fait les démarches me facilitera la vie le jour où j’en aurais besoin. Par exemple, pour le temps partiel thérapeutique, car je fatigue très vite intellectuellement parlant, ou encore pour bénéficier d’un logiciel me permettant de corriger mes fautes (les logiciels performants intégré au ordinateur professionnel son extrêmement cher et son accordé que sur RQTH du moins à ma connaissance) »
R. : « Après toutes mes hésitations, ça a été un très grand soulagement de recevoir une réponse positive de la MDPH : on reconnaissait que ma maladie était un poids dans ma vie professionnelle. Forte de cette reconnaissance, j’ai pris rendez-vous avec la médecine du travail pour discuter d’un aménagement de mon poste (qui a été validé par mon employeur). Je suis plus sereine quant à mon avenir professionnel, je sais qu’il existe des mesures de protections, des aides. Je ne suis plus seule. »
T. : « Une reconnaissance, tout simplement, de ma situation de handicap. Et rien que cela, c'était déjà beaucoup afin de légitimer un besoin d'adaptation de poste. Autrement, dans mes différentes expériences professionnelles, je n'ai jamais eu l'occasion de faire valoir mes droits. [...] Et puis maintenant je suis indépendante, donc si je devais faire des adaptations : soit elles sont déjà auto-financées, soit je devrais faire des dossiers de PCH (Prestation Compensation Handicap), comme la prise en charge des transports pour mes rendez-vous professionnels, ne pouvant plus conduire depuis un an et demi... ! Dans ce cadre de TIH (Travailleur Indépendant Handicapé), elle peut être très intéressante car mon statut RQTH permet aux entreprises de plus de 20 salariées assujetties aux 6% de l'OETH (Obligation d'Emploi des Travailleurs Handicapés) de déduire leur contribution Agefiph. À compétences égales, je peux donc être favorisée grâce à cette reconnaissance. Aussi, mon mari a pu obtenir le statut de salarié aidant familial dans son entreprise grâce à ma RQTH, lui permettant ainsi d'avoir des aménagements de poste, des jours dédiés à mes rendez-vous médicaux et des aides à domicile, ce qui est vraiment un soulagement au quotidien ! »
P. : « Ça m’a permis d’obtenir un rapprochement géographique avec une réduction du temps de trajet de 30 à 45 minutes. De plus avec la RQTH mon entreprise propose des CESU pour les aides à domicile, ainsi que 3 jours de congés par an pour les rendez-vous médicaux. La RQTH permet aussi une reconnaissance du handicap sur les lieux de travail et sûrement une sécurité supplémentaire niveau emploi. »
Que diriez-vous à une personne atteinte d'une maladie chronique qui entraîne des conséquences sur sa vie professionnelle et qui hésiterait à faire une demande de RQTH ?
M. : « Pourquoi hésiter ? La RQTH apporte que des avantages pour tous, y compris l'employeur ! Avec la RQTH, la personne malade peut par exemple bénéficier d'aménagements d'horaires dépendant de son handicap, ou de conseils et de financements de l'Agefiph (ou du Fiphfp pour les agents de la fonction publique) pour l'aménagement du poste de travail. C'est toujours ça de moins à charge pour l'entreprise et cela favorise le bien-être du malade. Ce serait dommage de s'en priver.
De plus, si l'entreprise a plus de 20 salariés, elle a une obligation d'emploi d'un minimum de 6% de travailleurs handicapés. Votre RQTH peut donc l'arranger. »
R. : « Ne faites pas la même bêtise que moi, mettez votre pseudo ego de côté et soyez lucide : votre pathologie empiète sur bien des domaines, ne la laissez pas aussi détruire votre vie professionnelle. Les démarches sont simples, même si les délais de réponse suivant les MDPH peuvent être assez longs. Faites-vous aider si vous rencontrez des difficultés pour remplir le dossier, mais faites-le, ne serait-ce que pour retrouver une certaine sérénité d’esprit »
L. : « La demande, même si elle n’est pas évidente, et qu’elle demande du temps, ne sera qu’un point positif dans la vie professionnelle. Si elle est accordée, l’employeur n’a pas le choix que de l’accepter et de chercher en bonne entente avec la personne disposant d’une RQTH, des meilleurs aménagements pour ce dernier. Il ne faut pas hésiter à faire la demande si c’est pour moins souffrir au travail, et être légitime face aux autre collèges qui pourraient se montrer moins compréhensifs. »
T. : « La RQTH permet des adaptations logistiques, techniques, horaires et j'en passe. Il faut à mon sens être acteur de sa qualité de vie au travail et échanger, dialoguer avec son entreprise pour permettre de réaliser sa mission dans les mêmes conditions que ses collègues ! :) Chaque histoire, chaque expérience, chaque entreprise est différente, et je sais qu'il en existe beaucoup qui intègrent la RQTH ! Maintenant, elles restent (trop) nombreuses à ne pas être simplement suffisamment informées de ces accompagnements, de ces aides, de ces droits disponibles ! D'où la pédagogie et la sensibilisation permanente nécessaire des principaux concernés pour faire évoluer notre société sur ce sujet. C'est une belle mission, non ? :) »
P. : « C’est un droit et il faut l’utiliser car même si elle est imparfaite la RQTH permet une vraie reconnaissance. »
Que diriez-vous à quelqu'un de concerné qui vous répondrait « Oui, mais moi je ne suis pas handicapé•e » ?
M. : « Galères-tu plus que les autres ou qu'avant pour réaliser tes actions quotidiennes ? Si oui, tu es alors en situation de handicap.
Ce n'est pas un gros mot.. Ce n'est pas honteux... C'est juste la simple réalité.
Alors plutôt que de ne pas le reconnaître et se pénaliser en secret, pourquoi ne pas l'accepter tout simplement et faire ce qu'il faut pour aller mieux ? »
L. : « C’est ton choix de faire la démarche ou non. Personne ne peut te l’imposer. À toi de te poser les bonnes questions : “certains aménagements pourraient me permettre de mieux vivre au travail ?” “Ma différence m’empêche-elle d’effectuer pleinement mon travail ?” »
R. : « Il faut ouvrir les yeux assez rapidement sur sa pathologie et ne pas se barder d’a priori comme j’ai pu le faire, qui ne font que retarder les démarches et l’avancement dans sa vie : le handicap n’est pas un terme péjoratif et peut revêtir bien des aspects. Il peut être visible comme invisible (et le chemin est encore long pour légitimer au regard d’un certain nombre de personnes que ce n’est pas parce que la maladie ne se voit pas qu’elle n’est pas handicapante. »
P. : « Que je me disais la même chose. Mais que ce n’est pas vrai car 80% des handicaps sont invisibles. Et que dès lors que ce handicap peut avoir impact sur la vie professionnelle, il est utile d’obtenir la RQTH, pour bénéficier d’aménagements potentiels et se protéger soit même mais aussi notre entreprise. En effet les entreprises ont l'obligation d'avoir un certain nombre de salariés avec cette RQTH sous peine de sanctions. »
T. : « J'ai déjà entendu des personnes me dire cela. Je leur dit qu'effectivement, elles ne sont pas handicapées. Elles sont un ensemble de valeurs, d'expériences, de qualités, de rencontres, avant tout ! Elles ne sont pas définies par un handicap.
C'est ça, je pense qu'il se passe au travers de cette étiquette. C'est de croire que c'est notre identité. Être en situation de handicap (et NON handicapé/handicapée), c'est un fait. Tout comme quelqu'un qui est myope et qui a besoin de lunettes : eh bien, il s'adapte ! Comme quelqu'un qui s'est blessé et qui a un plâtre et doit utiliser des béquilles : il s'adapte !
Je ne suis pas là pour convaincre qui que ce soit. Et la démarche d'acceptation peut être très longue car elle est intime et résonne sur tous les pendants de sa vie. Ce qui importe, c'est d'être ok, il faut respecter cela ! Maintenant, ma mission en tant qu'humaine est d'être tout simplement présente, à l'écoute, et guider au besoin vers le mieux-être de chaque personne qui m'entoure. »
Un grand MERCI à Loue, Mathieu, Patrick, Raven et Tiffany qui ont accepté de témoigner et de partager leurs expériences !
Si vous aussi, vous souhaitez témoigner de votre expérience de la maladie au travail, contactez-nous à l’adresse alloalex@wecareatwork.com
Pour toutes vos questions, sachez qu’ALLO Alex est là pour vous aider ! Pour rappel, le service est joignable au 0800 400 310 du lundi au vendredi de 9h à 17h (appel gratuit)
*MDPH : Maison départementale des personnes handicapées
(1) La maladie de Crohn est une maladie inflammatoire chronique du système digestif (MICI) dont la cause reste inconnue à ce jour. Elle évolue souvent par des poussées imprévisibles et d’intensité variable, entrecoupées de périodes de rémission. Douleurs abdominales, diarrhées chroniques, atteintes au niveau de l’anus, perte de poids, fatigue chronique… et parfois des symptômes articulaires (spondylarthrite), cutanés (aphtes, érythèmes) et oculaires. (Source : Mapatho) Pour plus d’informations médicales, retrouvez la boîte à outils Mapatho sur la maladie de Crohn
(2) La leucémie est une maladie caractérisée par la présence d'un trop grand nombre de globules blancs anormaux. Elle se développe dans la moelle osseuse (ne pas confondre avec la moelle épinière !), site de fabrication des cellules du sang. (Source : Laurette Fugain) Pour plus d’informations médicales, retrouvez les actions de l’association Laurette Fugain et d’Ensemble Leucémie Lymphome Espoir
(3) La dyslexie et la dysorthographie Il s’agit d’une altération spécifique et significative de la lecture (dyslexie) et/ou de la production d’écrit et de l’orthographe (dysorthographie). Plus d’informations médicales, sur le site de la Fédération française des dys (FFDys).
(4) La fibromyalgie C’est la maladie du « mal partout », « mal tout le temps », une maladie neuro-tendino-musculaire. La fibromyalgie revêt de multiples formes : douleurs diffuses et persistantes, fatigue chronique, troubles du sommeil, perte de mémoire, intestin irritable... qui rendent difficile le diagnostic. Il n’existe aucun traitement curatif pour la fibromyalgie. Des traitements médicamenteux, de la kinésithérapie ou des techniques de relaxation peuvent rendre les douleurs plus supportables. (Sources : Mapatho et fibromyalgiesos.fr) Pour plus d’informations médicales, retrouvez la boîte à outils Mapatho sur la fibromyalgie.
(5) Le neurolupus : le lupus est un dérèglement du système immunitaire dont les manifestations peuvent être très variées : éruptions cutanées, douleurs articulaires, fatigue, insuffisance rénale… Le neurolupus est caractérisé par des atteintes neurologiques qui provoquent entre autres des hallucinations et des dépressions. Il est possible de traiter les symptômes par traitement médicamenteux pour stabiliser la maladie et cela nécessite un suivi médical régulier. (Source : allodocteurs.fr) Pour plus d’informations médicales, retrouvez la boîte à outils Mapatho sur le lupus.
Crédit photo : Canva
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