Comment concilier maladie ou handicap, vie familiale et travail quand on est une femme ?
Selon l’Observatoire de l’emploi et du handicap de l’Agefiph, les femmes en situation de handicap sont confrontées à des difficultés qui se cumulent liées à leur handicap et à leur genre. Cela s’explique par leur situation effective de handicap (suivi des traitements ou des soins, accessibilité des environnements de travail), par les représentations liées au handicap, mais aussi le poids et la répartition culturellement inégale des charges domestiques au sein des couples et qui accentuent et favorisent davantage encore le temps partiel des femmes. La maladie, le handicap, peuvent encore être trop souvent un frein dans la carrière professionnelle.
Le saviez-vous ? 7 % des femmes en situation de handicap en emploi occupent un poste de cadre ou profession intellectuelle supérieure, contre 16 % pour les femmes non handicapées.
Face à ce constat et à ces enjeux, il est urgent d’agir. C’est notamment la mission de l’association DareWomen qui souhaite « encourager et développer l’audace de toutes les femmes ». Son réseau « DareWomen handicap » agit particulièrement à promouvoir les femmes en situation de handicap, à lutter contre les préjugés et à faciliter leur insertion professionnelle et leur maintien en emploi.
Nous avons rencontré Charlotte Tourmente, leur présidente, atteinte d’une sclérose en plaques..
« Travailler avec un handicap peut être complexe, tout d'abord pour la personne concernée, mais parfois pour son manager, ses collaborateurs, son employeur du fait des incompréhensions et des idées reçues sur le handicap. »
Nous sommes heureux de vous proposer son interview. Elle nous partage son parcours, comment elle concilie maladie ou handicap et travail au quotidien et son engagement.
Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre expérience de vie de la maladie en quelques mots ?
J'avais 20 ans et j'étais en 3e année de médecine quand une sclérose en plaques (SEP) a été diagnostiquée et a profondément perturbé mes études. Cette maladie se manifeste dans la forme dont je suis atteinte, par des poussées, des crises avec apparition de symptômes qui régressent plus ou moins. J'ai ainsi traversé des poussées provoquant une hémiplégie (paralysie d’une partie latérale du corps) et une aphasie (une incapacité à trouver ses mots), une diplopie (je voyais double) ou encore un équilibre instable, etc.
Je fais peu de poussées grâce aux progrès de la recherche mais je dois vivre avec les séquelles des précédentes poussées, notamment des douleurs intenses et invalidantes. J'avale 6 comprimés par jour contre les douleurs et j'ai un protocole spécial à l'hôpital, mais malgré tout je souffre tous les jours. J'ai également un épuisement chronique, expliquant que je travaille à temps partiel, avec un poste adapté en grande partie en télétravail. Je bénéficie notamment d’une PCH [2] avec la prise en charge d’une partie des transports pour aller sur mon lieu de travail en VTC une fois par semaine. J'ai une kyrielle de symptômes invisibles moins invalidants, comme un trouble du sommeil, des fourmillements un peu partout dans le corps, la moitié du visage cartonnée, etc.
Comment conciliez-vous votre maladie et votre travail ?
Je suis médecin généraliste mais je n'ai pas du tout une carrière classique. À cause des poussées et du handicap, j'ai réussi à valider mon diplôme mais j'ai été contrainte de renoncer à l'exercice de la médecine du fait du handicap invisible. J'ai donc pris un chemin de traverse pour rester investie auprès des patients en me formant au journalisme médical.
Après avoir contribué à l’émission Le Magazine de la santé, je travaille comme médecin et journaliste médicale pour le site Allodocteurs.fr, et pour un site destiné aux patients, SEP-ensemble.fr. Je suis également sexologue clinicienne. En 2019, j'ai écrit le livre Sclérose en plaques et talons aiguilles, pour sensibiliser à la maladie et donner aux patients ma boîte à outils pour mieux vivre avec une SEP.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées ? Qu'est-ce qui vous a aidé ?
La SEP est une maladie angoissante de par son imprévisibilité et le nombre de symptômes qu'elle provoque. J'ai dû apprendre à vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de ma tête. Le plus éprouvant reste les douleurs chroniques, avec lesquelles je vis depuis plus de vingt ans : il m'arrive d'être clouée à mon lit par une névralgie dans la visage, durant plus de quinze heures. L'épuisement chronique est difficile également à vivre mais encore plus à faire comprendre : les gens ne voient que mon apparence en pleine forme et certains ont du mal à croire ou à réaliser que je suis incapable de faire certaines choses comme enchaîner les activités toute une journée (je dis souvent que je vis à temps partiel !)
En vingt-six ans, j'ai appris à cohabiter avec la maladie, grâce à la méditation, au yoga, à la psychologie positive, aux petits et grands plaisirs ou encore grâce à une communication intense et répétée pour mieux faire comprendre le handicap invisible. Cette communication est fondamentale dans ma vie personnelle mais aussi dans ma vie professionnelle vis-à-vis des managers. Au départ, je ne disais rien par peur que mes employeurs ne me fassent plus confiance. Il m'est arrivé de trop forcer et de travailler à quasiment plein temps. Ce qui s'est soldé par une majoration de mes symptômes... J'ai appris à bien me connaître et à fixer des limites.
Travailler avec un handicap peut être complexe, tout d'abord pour la personne concernée, mais parfois pour son manager, ses collaborateurs, son employeur du fait des incompréhensions et des idées reçues sur le handicap. C'est la raison pour laquelle je suis devenue présidente de DareWomen Handicap, entité de l'association DareWomen qui accompagne les femmes sur le chemin de l'audace. Elle propose des rencontres inspirantes et des ateliers, dont certains sont ciblés sur le handicap pour mieux le vivre dans la sphère professionnelle.
Selon vous, comment peut-on améliorer l’accompagnement des personnes touchées par une sclérose en plaques en entreprise ?
La sclérose en plaques est une maladie complexe, qui peut être très différente d'une personne à l'autre. Certains auront un handicap invisible, d'autres un trouble moteur, etc. Il convient de s'adapter à chaque personne et de fournir des adaptations judicieuses : moi j'ai besoin d'un temps partiel et de télétravail, tandis qu'un autre aura besoin de bureaux accessibles ou d'aides visuelles.
L'autre difficulté pour l'employeur réside dans l'imprévisibilité et l'évolutivité de la maladie. Les personnes atteintes de SEP ont des symptômes qui peuvent être plus ou moins marqués durant la journée et en fonction des jours. Ce qui implique que l'employeur offre une certaine flexibilité aux personnes, dans la gestion de leur charge de travail. Par exemple, il peut s'agir de fatigue impliquant le besoin de faire une pause au calme dans la journée, pour récupérer un peu d'énergie. Ou en cas de douleurs très intenses et imprévisibles, il est parfois nécessaire de décaler ses horaires de travail.
Si vous aviez 1 conseil ou bonne pratique à partager avec : - une personne en situation de maladie / de handicap au travail ? - un manager d'une personne concernée ?
Pour la personne, c'est important de faire sa RQTH, reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé mais aussi d'accepter son handicap ou sa maladie (ce qui permet de mieux identifier ses limites et ses besoins professionnels pour rester performant). En cas de nécessité de faire adapter son poste de travail, l'aide d'un intermédiaire comme l'Agefiph dans le secteur privé ou le FIPHFP dans le public, est judicieuse.
Pour le manager, parlez avec la personne des compensations du handicap dont elle a besoin pour rester performante. Soyez à l'écoute et faites des points réguliers, notamment en cas de handicap évolutif.
Merci Charlotte pour votre témoignage !
Pour en savoir plus, découvrez Dare Women handicap.
Vous êtes patient ? aidant ? manager ? professionnel des ressources humaines ?
Vous aussi vous souhaitez témoigner de votre expérience de la maladie au travail, contactez-nous à l’adresse alloalex@wecareatwork.com.
Pour toutes vos questions, sachez qu’ALLO Alex est là pour vous aider ! Pour rappel, le service est joignable au 0800 400 310 du lundi au vendredi de 9h à 17h (appel gratuit).
[1] Observatoire de l’emploi et du handicap de l’Agefiph : Femmes, emploi et handicap – État des lieux et perspectives, mars 2022
[2] Prestation de compensation du handicap : La prestation de compensation du handicap (PCH) est une aide financière qui permet de rembourser les dépenses liées à la perte d'autonomie. Cela peut être une aide humaine, technique, un aménagement du logement ou transport, une aide spécifique ou exceptionnelle ou une aide animalière. La demande se fait auprès de la maison départementale des personnes handicapées ou MDPH (Source : Service-public.fr)
Crédit photo : Philippe Corsant-Colas
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